Le champ de bataille s’étend, encore intact, devant les dizaines de milliers de légionnaires venus des quatre coins de l’Empire. En première ligne, les hommes serrent leurs boucliers métalliques, de leurs puissantes phalanges, prêts à bondir lorsque l’attaque sera ordonnée. Devant eux, ils entrevoient les murs fortifiés de Sarmizégétuse. De l’autre côté des fortifications et tout autour, les soldats de Décébale, roi des Daces sont, eux-aussi, prêts pour le combat.

Les tuniques des Romains voltigent dans le vent du printemps, comme impatientes de s’imbiber du sang ennemi. Soudain, l’armée est traversée par un frémissement : les sabots des chevaux heurtent la terre, pendant que leurs hennissements s’entrechoquent contre les pentes abruptes des Carpates. Est-ce l’odeur de la mort imminente qui les perturbe ou cet étrange sifflement qui leur parvient de la cité dace? On narre que l’étendard métallique des adversaires, représentant une créature avec une tête de loup et un corps de dragon, s’anime et guide les troupes de Décébale lors des batailles ! Que l’ennemi en est désorienté et ses chevaux terrifiés !

Cachés encore dans l’ombre des imposants hêtres, les Romains peuvent apercevoir la longue chevelure des Daces flottant dans les airs, leurs faux scintiller dans le soleil pâle, au rythme des prières silencieuses qu’ils adressent à leur dieu, Zalmoxis, en lui confiant leurs vies.
Affrontement éternel
Loin dans le temps, cette scène aurait pu être une page d’histoire écrite lors des batailles qui ont vu s’affronter l’empereur romain, Trajan, et le roi dace, Décébale. Encore aujourd’hui, ils s’opposent l’un à l’autre : d’une part la Tabula Trajana (Table de Trajan), monument en forme de table verticale taillée dans la roche, sur les terres serbes, et d’autre part la « Sculpture de Décébale » (Chipul lui Decebal, en roumain), un immense monument sculpté lui aussi dans la roche, sur la frontière roumaine. Au milieu, le Danube coule paisiblement, témoin silencieux d’un passé aussi lointain que glorieux.
La « Sculpture de Décébale », œuvre d’art sur le Danube


La « Sculpture de Décébale » est, aujourd’hui, le plus grand monument de ce type, en Europe. D’une hauteur de 40 mètres, il se trouve non loin de la ville de Orsova (dans le département de Mehedinti), près des Portes de Fer (« Portile de fier », en roumain), une gorge du Danube, également frontière naturelle entre la Serbie et la Roumanie.

La création de ce visage barbu, au regard impénétrable, a duré 10 ans et a été financé par I. C. Dragan, écrivain, homme d’affaires et passionné d’histoire ; son nom apparaît sur l’inscription latine, sur la partie inférieure de la statue : DECEBALUS REX – DRAGAN FECIT (le roi Décébale – fait par Dragan). Une équipe de 12 sculpteurs-alpinistes ont façonné la pierre, suivant les plans d’un architecte italien, en dépit des intempéries, des conditions de travail difficiles et de la hauteur vertigineuse.
Avec le temps, à cause du climat très humide de la région, la roche a commencé à s’effriter, provoquant une fissure au niveau du nez rocheux. Après avoir été dynamité pour réduire les 7 mètres de long, il a été remodelé et renforcé, pour éviter l’écroulement. Si ce dernier paraît inévitable, Décébale aura alors un point commun avec le Sphinx de Gizeh et continuera, de cette façon, à entretenir sa notoriété !
Portrait d’un roi
La sculpture représente le visage de Diurpaneus, qui changea son nom en Décébale, dont la signification est « combattant comme dix ». Il fut le dernier roi des Daces, de 87 à 106. Après avoir unifié les petits royaumes qui formaient initialement la Dacie (Dacia, en roumain), il fit de Sarmizégétuse la capitale de son royaume. Il combattit plusieurs fois les légions des empereurs romains, Domitian et Trajan.

Celui qui est considéré comme le Versingétorix des Carpate était un ennemi de taille pour l’armée impériale, toujours repoussée au-delà des frontières du royaume. En effet, Décébale sut tourner à son avantage la situation lorsqu’il négocia la paix avec l’empire romain et ce jusqu’en 101, date de la première bataille dacique contre l’empereur Trajan : il devint alors roi « client » sous le protectorat de Rome. Ce fut lors de la bataille de 105 – 106 que Trajan parvint enfin à siéger la cité de Sarmizégétuse et à conquérir la Dacie, qui devint province romaine. Pour éviter de tomber dans les mains de l’ennemi en tant qu’esclave, Décébale se suicida.


Les batailles daciques sont contées par les bas-reliefs de la colonne de Trajan, à Rome, où Décébale est représenté avec son inséparable « Caciula », le couvre-chef des aristocrates daces. Les historiens romains ont décrit le roi des Daces comme un valeureux guerrier, habile dans les combats et fin stratège militaire. Ces bouts d’histoire, aussitôt sanglants, aussitôt glorieux, nous parviennent grâce aux nombreuses représentations artistiques : la sculpture qui surplombe le Danube, en est une! Décébale s’érige, à travers les siècles, en gardien fidèle et somptueux, sur ses terres.
Laissez-vous porter par le courant du fleuve jusqu’à cet imposant monument !
Allez à la découverte des ces endroits riches d’histoire, laissez-vous bercer par l’étrange sifflement de l’étendard à la tête de loup et au corps de dragon, qui a traversé les millénaires pour vous conter l’aube de la culture roumaine !
Laura-Andreea Trichard
Image à la une : Ioan VARTACI (Roomanies.com)