A 30 km au Nord de Pitesti se trouve le monastère le plus célèbre de Roumanie, celui de Curtea de Arges.
Edifié en XIVème siècle, cette église en pierre blanche sculptée, abrite aujourd’hui de nombreux tombeaux royaux.
Tout roumain a, au moins une fois dans sa vie, entendu parler de ce monastère. Et bien peu sont restés indifférents à sa légende.
Pour ceux qui veulent savoir juste un petit peu plus sur cette histoire, en bref, tout commence avec le désir d’un prince de construire le monastère le plus beau qu’on ait jamais vu. Pour ce faire, il engage neuf ouvriers maçons, avec à leur tête un maître maçon, appelé Manole. Les travaux commencèrent, mais avant que les maçons ne parviennent à poser la dernière pierre, l’édifice s’écroula. Et cela se passait à chaque fois.
Dans son désir de briser la malédiction, et dans son refus d’abandonner, suite à un rêve, Manole décide d’y emmurer la première femme, épouse ou sœur, qui se rendrait sur les lieux. Mais la première malheureuse qui s’y présente n’est autre que sa précieuse épouse. Le cœur déchiré, Manole ne recule pas devant sa décision. Sa femme y est emmurée et le monastère fut alors achevé.
Le prince, extrêmement ravi du résultat, ne désirait pas voir Manole bâtir une autre église plus belle que la sienne. Ainsi fit-il « enlever l’ouvrage de l’échafaudage », abandonnant les maçons sur le toit. En essayant de s’échapper, ces derniers, chutèrent et moururent. Manole s’écrasa lui aussi non loin et à cet endroit une source aurait jailli. C’est ce qu’on appelle aujourd’hui la « Fontaine de Manole ».
Pour ceux qui veulent tout savoir sur cette histoire, ci-dessous la traduction de la ballade qui se trouve à la base de cette légende.
La ballade du Maitre Manole, fait partie du répertoire de la littérature populaire orale roumaine et s’enseigne au collège.
« – I –
L’Arges en aval,
Dans le joli val,
Le Prince noir vient
Et il s’entretient
Avec neuf maçons,
Maîtres, compagnons,
Et Manol dixième,
Leur maître suprême,
Afin qu’ils choisissent
Un endroit propice
Sur ses vastes terres
Pour un monastère.

Et voici, soudain,
Que sur leur chemin,
Un berger les scrute,
Jouant de sa flûte ;
Dès qu’il surgit,
Le Prince lui dit :
Petit berger, fier,
Jouant de doux airs,
Allant en amont
Avec tes moutons,
Ou descendant de l’eau
Avec ton troupeau,
N’as-tu pas vu là,
Par où tu passas,
Des murs délaissés
Et non achevés,
Parmi des piliers
Et des noisetiers ?

Si seigneur, j’ai vu
Des murs délaissés
Et non achevés :
Mes chiens, quand les voient,
Hurlent et aboient,
Comme ils pressentent
La mort qui les hante.
Le Prince l’entend
Et repart soudain,
Suivant son chemin
Avec neuf maçons
Maîtres, compagnons,
Et Manol dixième,
Leur maître surprême.
Les voici mes murs !
Donc vous compagnons
Et maîtres maçons,
Passez aux travaux :
Il faut qu’aussitôt,
Ici, vous leviez
Et le bâtissiez
Mon beau monastère
Sans pareil sur terre.
J’offre mes richesses,
Des rangs de noblesse ;
Ou sinon sachez,
Je vous fais murer,
Murer tous, vivants !…

‘- II -’
Travaillant sans trêve,
Leur grand mur s’élève ;
Mais tout travail fait,
La nuit s’écroulait !
Et pendant trois nuits,
Tout croule avec bruit !
Le Prince les mande
Et les réprimande :
Fâché, furieux,
Il menace et veut
Les murer vivant…
Les maîtres maçons
Et les compagnons
En travaillant tremblent,
En tremblant travaillent…

Tandis que Manol,
Couché sur le sol,
Fait en s’endormant,
Un songe étonnant,
Puis, lorsqu’il se lève,
Ils leur dit son rêve :
Chers maîtres maçons
Et chers compagnons,
J’ai fait en dormant,
Un rêve etonnant.
Du ciel j’entendis
Quelqu’un qui me dit :
Ce que l’on construit
Tombera la nuit,
Jusqu’à ce que nous
Déciderons, tous,
D’emmurer l’épouse
Ou la soeur, venant
Porter la première
Au mari ou au frère
A manger demain,
Au petit matin.
Donc si vous tenez
A parachever
Ce saint monastère
Sans pareil sur terre,
Il faudra jurer
Et nous engager,
Et qui, la première,
Viendra demain,
Au petit matin,
Nous l’immolerons
Et l’emmurerons !

– III –
A l’aube, voici
Que Manol bondit
Et qu’il monte sur
Les restes des murs,
Scrutant le chemin,
Perçant le lointain.
Hélas pauvre maître,
Qui voit-il paraître ?
Anne, sa chérie,
Fleur de la prairie !
Elle s’approchait
Et lui apportait
A boire, a manger…
A genoux, en pleurs,
Il prie le seigneur :
Verse sur le monde,
La pluie qui inonde,
Change les rivières
En torrents sur terre ;
Fais que les eaux croissent,
Pour que ma mie lasse,
Ne puisse avancer !
Dieu ayant pitié
Lui obéit et
Fait couler bientôt
Du ciel, l’eau en flots.
Mais, bravant l’averse,
Sa femme traverse
Les eaux, les torrents…
Et Manol soupire,
Son coeur se déchire ;
Il se signe, en pleurs,
Et prie le seigneur :
Fais souffler un vent,
Un vent si puissant,
Qu’il plie les sapins,
Dépouille les pins,
Abatte les montagnes
Quant à sa compagne,
En bravant le vent
D’un pas hésitant,
Arrive, épuisée.

– IV –
Les autres maçons,
Maîtres, compagnons,
Sont tous délivrés,
Là, quand ils la voient.
Et Manol l’enlace
Et, troublé, l’embrasse,
Puis, monte avec elle
Dans les bras, l’échelle :
Ne crains rien du tout,
Ma chérie, car nous
Voulons plaisanter
Et là t’emmurer !
Et le mur grandit
Et l’ensevelit
D’abord jusqu’aux pieds,
Puis jusqu’aux mollets.
Et sa pauvre chère
Ne sourit plus guère :
Manol, cher Manol,
O maître Manol,
Le gros mur m’étreint,
Et tout mon coeur geint !
Mais il est muet,
Travaille et se tait,
Et le mur grandit
Et l’ensevelit
D’abord jusqu’aux pieds,
Puis jusqu’aux mollets,
Après, jusqu’aux reins
Et puis jusqu’aux seins.
La pauvre Anne ignore
Son but et l’implore :
Manol, cher Manol,
O maître Manol,
Le gros mur m’étreint
Et serre mes seins,
Puis jusqu’au menton,
Enfin jusqu’au front.
Il bâtit son bien
Qu’on ne voit plus rien ;
Pourtant il l’entend
Du mur gémissant :
Manol, cher Manol,
O maître Manol,
Le gros mur m’étreint
Et ma vie s’éteint !
– V –
L’Arges en aval,
Dans un joli val,
Noir, le Prince, arrive
Sur, la belle rive,
Faire ses prières
Dans le monastère.
Le Prince et sa garde,
Ravis, le regardent
Vous, dit-il, maçons,
Maîtres, compagnons,
Dites-moi sans peur,
La main sur le coeur,
Si votre science
Peut avec aisance
Faire pour ma gloire
Et pour ma mémoire
Plus beau monastère ?

Les dix grands maçons,
Maîtres, compagnons,
Sis sur la charpente
Du haut toit en pente,
Répondent joyeux
Et fort orgueilleux :
Comme nous, maçons,
Maîtres, compagnons,
Tu ne trouveras
Jamais ici-bas,
Sache donc, que nous
Pourrons n’importe où
Bâtir sur terre
Plus beau monastère,
Plus éblouissant
Et resplendissant !
Or, le Prince écoute
Et ordonne, en rage,
D’enlever l’ouvrage
De l’échafaudage,
Afin que les bons
Dix maîtres maçons
Soient abandonnés
Là, sur la charpente
Du haut toit en pente.
Mais les maîtres sont
Adroits et se font
Des ailes qui volent,
Ailes d’échandoles ;…
Un à un descendent,
Mais là où ils tombent
Ils creusent leur tombe.
Or, pauvre Manol,
Le maître Manol,
Tout juste à l’instant
Où prend son élan,
Entend une voix
Sortir des parois,
Une voix aimée,
Faible et étouffée,
Qui pleure et gémit : …
Manol, cher Manol
O maître Manol
Le gros mur m’étreint
Et serre mes seins,
Mon cher petit geint
Et ma vie s’éteint !
Il l’entend si près
Qu’il reste égaré,
Et de la charpente
Du haut toit en pente,
S’écroule Manol,
Et là où son vol
S’écrasa au sol,
Jaillit de l’eau claire,
Salée et amère,
Car dans sa pauvre onde
Ses larmes se fondent ! »
–
Traduction par N-A Gheorghiu, reprise par Mircea Eliade.







La légende du monastère de Curtea de Arges ne laisse personne indifférent. En êtes-vous d’accord?
Bon voyage à vous!
Mariana Antoneag