En tant que Français, j’ai gardé de mon enseignement scolaire historique des idées caricaturales et imagées des civilisations antiques qui nous ont précédées. J’imagine un déferlement de hordes venues des steppes mongoles ou l’envahissement de Rome par des barbares sanguinaires que le grand empire romain avait d’abord conquis lui-même avant de succomber, en 476, sous le nombre des guerriers sans foi, des Goths pleins de velléités belliqueuses et peu cultivés… La réalité est bien plus complexe et tellement plus passionnante ! faite de mélanges, d’emprunts et d’échanges entre des peuples dont on a minimisé l’importance, l’influence sur les Grecs puis sur les Romains.
Devanciers et contemporains déjà des Grecs, des peuples « les Thraces » occupaient la partie Sud du Danube au moins deux mille ans avant J.-C, l’actuelle Bulgarie mais aussi la partie Nord (Roumanie) avec d’autres peuples dont ils partageaient la culture, la religion : les Gètes et les Daces…
Ces trois groupes représentaient les plus dominants, parmi d’autres, au sein de sociétés très hiérarchisées mais partageant de nombreux points communs et se comprenant par le langage et les modes de vie. Si bien que l’on parle plus largement du peuple thrace dans sa globalité, même si leur unité n’a été que rarement réalisée au cours de l’histoire.
Or ces peuples qui ont su perdurer bien avant l’ascension des grecs et même après la chute de l’empire romain d’occident, ont prospéré et se sont enrichis, commerçant entre eux, au sein et autour de cités lointaines telle Troie, ce que relatent Homère dans le deuxième chant de l’Illiade et Strabon d’Amasée (géographe grec vivant au premier siècle), exploitant largement des mines d’or ( dans les monts d’Apuseni en Roumanie ou dans les montagnes Rhodopes en Bulgarie).
Leur art étaient très raffiné comme le prouve certains objets retrouvés dans les tumulus funéraires nombreux, tant en Bulgarie qu’en Roumanie (plus de 5000 recensés en Roumanie). Ces tumulus recèlent de tombeaux fabuleux comme celui du site de Kazanlak en Bulgarie, classé au patrimoine mondial de l’UNESCO dont les peintures ont été préservées, des objets comme la couronne du roi Seuthès III ciselée de glands et feuilles de chêne en or retrouvée dans son tombeau, le trésor d’Agighiol découvert fortuitement en 1931 par le Père Cordun dans le delta du Danube (on peut voir les copies de ce trésor au musée ICIM de Tulcea en Roumanie et l’original à Bucarest),

Pièces du trésor d’Agighiol (Musée de Bucarest)

Pièces du trésor d’Agighiol (Musée de Bucarest)
Plusieurs autres contenant des coiffes en or, des vases… comme ce trésor composé de casques, gorgerettes et objets de harnachement que l’on peut contempler au musée de Lasi.
La période la plus faste pour les Thraces fut celle comprise entre les IV, III et II ème siècles avant J.-C . Le royaume des Odryses couvrait un territoire s’étendant du nord au sud par alliances.
Malheureusement, encore aujourd’hui, peu de fouilles ont été conduites dans beaucoup de secteurs roumains par manque d’intérêt ou de finances ce qui laisse place à de nombreuses opportunités pour des découvertes futures très importantes pour l’histoire de l’antiquité européenne. Mais des trésors sont exposés au musée national d’histoire de Bucarest.
Il semble acquis que les Thraces ont exercé une influence bien plus importante qu’on ne pourrait le croire. Selon les historiens ils auraient même légué aux Grecs le nom de certaines divinités comme Dyonisos, Apollon ou Artémis et seraient à l’origine du mythe d’Orphée… De nombreux rites sacrés auraient pour origines des pratiques thraces.
Ils possédaient même d’après des découvertes récentes des connaissances extraordinaires en matière d’astronomie, d’agriculture… et connaissaient le fonctionnement et l’influence des planètes, des savoirs qu’enseignaient des maîtres spirituels comme Décénée (Décénéus), équivalents de Socrate ou Aristote en des lieux sacrés du Kogaionon : lieux encore incertains situés dans les Carpates. (peut-être le mont Godéanu).
La richesse de ces peuples évidemment suscita l’intérêt des Perses puis des Grecs. Sur le plan militaire c’est d’ailleurs avec ces derniers que les Thraces ont souvent conclu alliance et auparavant défait les armées perses de Cyrus le Grand lui-même, tué dans une expédition contre les Massagètes de la reine Tomyris en 529 avant notre ère (citée par Hérodote comme la dernière des Amazones).

Plus tard, Alexandre lui-même su s’entourer des meilleurs et plus fidèles d’entre eux pour entreprendre ses conquêtes tournées vers l’Asie.
La valeur des combattants thraces était réputée et respectée jusqu’au moment de l’ultime défaite, bien des siècles plus tard, sous les coups de buttoir de l’armée romaine aux ordres de Trajan (début du deuxième siècle).
Hérodote en son temps dira de ces peuples que s’ils avaient été plus unis, ils auraient été invincibles. D’ailleurs les Daces se disaient immortels.
Le célèbre Spartacus né à Sofia en -73 av J.-C était l’un de ces guerriers thrace à la fois craint mais respecté par les Romains pour sa vaillance et son courage dans sa rébellion pour la liberté.

Ainsi, peu de rois ont réussi à imposer une unité thraco-gèto-dace excepté peut-être Burebista qui prit parti pour Pompée contre César et contre la domination grandissante des Romains, et Décébale le Dace lui-même, le plus connu par sa statue de pierre (la plus haute d’Europe) qui orne et domine le Portes de fer (point d’entrée du Danube en Roumanie).


Portrait Par Ion Popescu-Băjenaru / Institutul de Arte Grafice Carol Göbl, Domaine public,
https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=18265889
Il est aussi tout à fait démontré que l’occupation romaine des rives de la mer Noire n’a pas marqué la fin de l’influence thrace en Europe.
Il est étonnant de constater qu’après avoir vaincu les Daces, les Romains s’en sont faits des alliés, des conseillers et même des empereurs comme Régalianus, confirmé commandant militaire de Mesie (Roumanie actuelle) par Gallien ou encore Galerius nommé César adjoint de Dioclétien de 305 à 311 ou le plus important : l’empereur Justinien I qui régna de 527 à 565 sur Byzance et œuvra à rétablir le grand empire.
Les Daces furent honorés de multiples façons, par des statues et des sculptures comme celles qui ornent la colonne Trajan à Rome, l’arc de Constantin ou celui de Galère à Thessalonique en Grèce, des monuments sur les parois desquelles les Thraces sont souvent reconnaissables à leur célèbre coiffe phrygienne dont les nobles étaient revêtus.

Cette coiffe n’a t-elle pas d’ailleurs influencé chez nous nos illustres sans-culottes de notre révolution de 1789, symbole de révolte et de liberté ? Et combien de symboles encore comme ce taureau qui pare le blason de la Roumanie, la marque de Dromichaetes vainqueur un temps de Lysimaque, bras droit d’Alexandre qu’il combattit avec sagesse, avant de déposer les armes devant la puissance grecque. Il donna même paraît-il sa fille comme épouse à Lysimaque.
L’archéologie en Bulgarie et Roumanie n’en est qu’à ses balbutiements et nul doute que l’avenir réservera de magnifiques surprises et des trésors à ceux qui s’y intéresseront.
Mais l’histoire nous permet de considérer à sa juste valeur la culture roumaine pour son apport à notre propre histoire et les qualités de ces habitants qui gardent le souvenir de la fierté et du courage de leurs ancêtres, même si depuis, bien d’autres influences sont venues se mêler et enrichir la pensée roumaine. Nous le verrons peut-être dans un prochain article.
Pat
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