Sur la cote de la Mer Noire, au large de la ville roumaine ensoleillée de Costinesti et à quelques distances de la plage dite « plage des français », gît depuis 50 ans, l’épave Evangelia (Évangile en français).
Ce navire qui rouille depuis si longtemps, faisait partie à l’origine d’une flotte de cargos « Les Liberty boats » construite par les britanniques et les américains pour pallier leurs nombreux bateaux coulés par les sous-marins allemands pendant la guerre et afin d’apporter des marchandises aux régions nécessiteuses…
Conçus un peu à la va-vite avec des procédés toutefois nouveaux (soudure au lieu de rivetage…), ils bénéficiaient d’un certain confort et ont permis aux officiers, aux équipages de se former à la navigation sur des bâtiments simples et modernes.
Tous ont disparu aujourd’hui, beaucoup se sont brisés, et inutile de vous dire que les populations démunies de la Roumanie n’ont guère vu ces bateaux accoster par chez elles. L’Évangelia, revendu à l’armateur grec Aristote Onassis en 1965 effectuait une livraison d’agrumes vers la région plus riche de Constanta lorsqu’il s’est rompu au large de Costinesti le 15 Octobre 1968 avec sa cargaison, suscitant la convoitise mais surtout l’ironie des habitants de la cote qui en parlent encore aujourd’hui.
Il reste néanmoins un symbole et j’ai voulu profiter de quelques jours de vacances, avide de sentir les parfums de la mer, de nouvelles découvertes et de leur histoire, pour me rendre compte par moi-même…Cette épave m’inspirait; je suis allée la découvrir, là où elle se trouve échouée, pour vous faire partager aussi mon sentiment.
Je ne peux m’empêcher de sourire en y repensant; vue depuis la plage, dressée entre ciel et mer, l’Evangelia captive, suscite mon respect. J’ai été fascinée par la puissance de sa présence.
Les cheveux un peu salés, les yeux éblouis par les reflets d’une lumière vive sur l’eau verte de la mer, je l’ai contemplée, longtemps, depuis la rive, guettant contre ses flancs le mouvement des vagues. L’Evangelia, semble s’être figé majestueusement d’un seul coup au large, sur un banc de terre ou de sable, bloquant à jamais l’horizon de sa présence monumentale. Quelle grâce ! Auréolée de mystère. Devant elle, je rêve d’aventures, je repense aux épreuves qu’elle a dû traverser, aux marins qui l’ont manœuvrée… et j’éprouve un peu de tristesse face à ce destin brisé… Voilà ce qu’elle m’inspire et plus encore alors que pour d’autres, elle n’est à l’évidence qu’une carcasse vide, inutile et laide qui se dépouille peu à peu au rythme des saisons !


A la découverte de l’Evangelia
Il fut un temps où l’Evangelia, arpentait les mers et les océans. Aujourd’hui, gracieuse, silencieuse et immobile, elle règne sur son coin de mer, l’un des endroits les moins fréquentés de Costinesti.
Toutefois cette plage est très recherchée par les jeunes qui aiment bien venir y faire la fête et de petites embarcations, contre 10 lei (environ 2 euros 50), invitent les touristes à profiter d’une vue à 360 degrés sur l’épave.
Parée d’un sourire en haute définition, le cœur submergé par un mélange de curiosité, d’impatience et d’enthousiasme, je décide de prendre « le large » à bord de l’une de celles qui proposent ce type de service touristique, pour aller à la rencontre de l’épave.
Équipée d’un gilet de sauvetage, comme environ 15 autres curieux comme moi, nous quittons la terre pour nous élancer dans les vagues.
Au large, je découvre une mer plus calme, une eau douce, tiède et attirante. J’y glisserais volontiers, irrésistiblement aspirée par ses promesses de fraîcheur et le sentiment de paix que procurent les profondeurs… Tout ceci me rend un peu ivre. Quel enchantement! Comment rester imperméable à ce bonheur d’été?
Après environ 10 minutes de navigation, nous nous trouvons face à l’ Evangelia, à la fois séductrice, déserte, solitaire et farouche. Sous le déluge des pluies hivernales et l’ardeur du vent, sa carcasse rouillée semble crouler. Je ne peux m’empêcher de frissonner. J’imagine le pont et les cabines des marins au temps de sa splendeur, une façon de lui redonner un peu de vie…

Selon le guide, qui nous accompagnait lors de notre visite, cette épave, vieille d’un demi-siècle, aurait été abandonnée intentionnellement sur la cote roumaine de la mer Noire en 1968, pour permettre à son riche armateur de toucher les assurances. l’Etat ensuite en a pris possession, et l’épave est devenue très vite le symbole de la ville de Costinesti. Certains l’admirent, d’autres la moquent…mais elle ne laisse pas indifférent.
Aujourd’hui, la carcasse de l’Evangelia, semble se disloquer rapidement. Les morceaux qui demeurent semblent sur le point de se briser. Des malveillants la dépouillent de sa substance, la dépècent pièce après pièce, et revendent à qui en veut, aux ferrailleurs… des morceaux de sa vieille structure, pour quelques lei…

Cela m’attriste. J’attire l’attention des autorités locales : le symbole de la ville de Costinesti « meurtri », l’épave se décompose, des voyous la vandalisent… et peu de gens s’y opposent… j’en suis navrée… Mais vous? Qu’en dîtes-vous? Faut-il définitivement la faire disparaître ou au contraire garder avec elle un peu de notre mémoire?
Image à la une : Wikipédia
Mariana ANTONEAG

A la dérive
*
On prétend qu’ils reviennent…les nuits de pleine Lune
Et les jours de tempête, espérant à venir,
Marins et capitaine, un revers de fortune
Pour redresser la tête de leur fier navire…
*
On peut apercevoir au lieu de son mouillage,
Barrant le paysage que des cormorans cernent,
Au ciel dès le soir, briller au bastingage
De l’imposant blindage… le feu d’une lanterne…
*
Entendre aussi le vent siffler dans les coursives
Et remonter du fond depuis les écoutilles
Grinçantes jusqu’au pont, comme des voix plaintives…
De soutiers réclamant un port, du vin, des filles…
*
Leur âme se souvient de ces lointains voyages,
Des antres coralliens, des mers plus profondes,
Plus propices endroits pour un glorieux naufrage…
Où ne s’enlisent pas les pensées vagabondes…
*
De la proue qui tranchait des sillons dans l’écume,
Des voiles qu’ils saluaient en remontant les côtes
D’un geste de la main, d’une corne de brume,
Dans le respect commun les barques et les yachts…
*
Et du rugissement puissant de la machine,
Quand frappaient les soupapes faisant vibrer les tôles
De tout le bâtiment…dont gît brisée l’échine
Que maintenant happent, lapent des vagues molles…
*
Avant les grands tankers, les porte-containers…
Lui, de fonte et d’acier, conçu de bel ouvrage
Pour affronter la guerre ! Pas vingt années derrière
S’en venir s’éventrer à Costinesti-plage !….
*
Les oiseaux en ont fait désormais leur asile
Les entrailles ont rendu leur surprenant mélange
Qu’ont bien bu de ce fret les bigorneaux de l’île…
Enfin…ce qu’ils ont pu de la pulpe d’orange…
*
…Il reviennent aussi pour chercher le trésor
Que nul n’a découvert encore au fond des cales,
Un mystère dont la mer Noire a scellé l’abord…
Le secret ramené d’une dernière escale…
*
Ces révélations sont…paroles d’évangile !
Car des admirateurs qui le voient de la rive,
Ce monstre à l’horizon de fer chaussé d’argile,
Tous ont pour lui le cœur qui part à la dérive….
*
Pat pour l’Evangelia…